La grande illusion

Le Premier ministre, François Bayrou, a présenté hier, suivant en cela un agenda dont lui seul semble trouver la pertinence, une série de mesures destinées à rétablir les finances de la France dès l’année 2026, comme s’il était assuré de continuer à diriger le pays au nom d’une majorité qui n’existe pas. Je suis d’ailleurs frappé d’entendre certains journalistes s’entêter à parler de tel ou tel député qui s’exprimerait au nom de « la majorité », alors qu’il ne fait, généralement qu’exprimer le point de vue du petit noyau des derniers partisans du président de la République, qui se pavane, imperturbable, sur le socle minuscule résiduel qui s’est mis dans la main de la droite qu’il a ressuscitée, contre l’avis du suffrage universel.

Je ne perdrai donc pas mon temps et le vôtre à examiner ici le détail des mesures envisagées pour perpétuer une politique foncièrement inégalitaire et qui ne bénéficie d’aucune légitimité. Je me contenterai d’un exemple, la suppression de deux jours fériés qui toucherait exclusivement les actifs, comme pour les punir d’avoir conservé un emploi dans un pays où le chômage fait un retour en force. Le Premier ministre fait l’erreur de les désigner, lundi de Pâques et anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie du 8 mai, suscitant le refus instinctif de l’opinion. 70 % des Français consultés par Toluna-Harris Interactive pour RTL sont hostiles à cette mesure, qui est considérée par ailleurs comme une provocation pour le Rassemblement national. Ce qui m’amène tout naturellement au risque principal encouru par ce gouvernement, qui est de se faire censurer par une coalition des opposants, dès que les textes budgétaires seront examinés par les députés et les sénateurs.

À moins que ! et c’est apparemment le calcul de François Bayrou pour espérer sauver sa peau contre toute logique, le Parti socialiste joue une stratégie totalement stupide d’apparaître comme raisonnable en négociant avec le camp présidentiel pour obtenir des concessions justifiant une neutralité bienveillante. Le PS, qui sort d’un congrès où les deux lignes, celle du compromis avec Bayrou, et l’alliance avec les autres partis de gauche, ont fait sensiblement jeu égal, pourrait miser sur « le coup d’après » en espérant se renforcer d’ici à l’élection présidentielle de 2027. Il faudrait pour cela des compromis d’importance en faveur d’une réduction significative des inégalités, et pas seulement l’abandon d’un jour férié sur deux en guise de plat de lentilles, par exemple. Les Français, qui plébiscitent à 78 % la seule mesure de solidarité demandée aux plus riches, ne comprendraient pas une telle posture de la gauche au nom du « moindre mal », alors qu’ils jugent les mesures envisagées par le Premier ministre injustes à 68 %, et de plus inefficaces à 67 %.