Pour le peuple ou par le peuple

Lorsque le sénateur de droite Laurent Duplomb a déposé la loi portant son nom, mais qui a visiblement été rédigée sous la dictée du lobby de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, le syndicat agricole majoritaire favorable à une agriculture intensive, il ne se doutait probablement pas que son patronyme lui vaudrait d’être classé dans la catégorie des noms prédestinés, ou des « aptonymes » selon le mot savant forgé de toutes pièces par nos cousins québécois, jamais à court de néologismes pour éviter la langue anglaise qui les assiège. Et cependant, impossible de passer à côté : la loi scélérate a bel et bien du plomb dans l’aile, comme dirait le Canard.

Cette loi, réclamée par les productivistes, a pourtant été adoptée « à la régulière » par une majorité de circonstances, approuvée par le gouvernement de François Bayrou, grâce à une coalition improbable des macronistes, des Républicains du LR et du Rassemblement national, mais elle fait débat chez les partis de gauche, les écologistes, des associations ou des syndicats agricoles, qui lui reprochent d’autoriser des néonicotinoïdes tueurs d’abeilles ou des pesticides plus que suspects de provoquer des cancers. La loi a été votée, mais la messe n’est pas dite. Un droit, dit de pétition, a été réinstitué récemment, qui permet, en principe, à n’importe quel citoyen de l’Union européenne, de saisir l’exécutif de son pays pour réclamer un examen d’un texte législatif, moyennant la signature d’un certain nombre de pétitionnaires. Il n’en fallait que 500 000 pour obtenir la tenue du débat, et la pétition sur le site de l’Assemblée nationale en a déjà recueillie plus d’un million 200 000, et pourrait atteindre 2 millions de signatures ou davantage.

Jusqu’à la présidente de l’AN, Yaël Braun-Pivet, pourtant favorable à la loi, qui se déclare prête à organiser le débat à la rentrée parlementaire. Et pour cause. Aucun vote ne viendra sanctionner les discussions, au cas où les parlementaires voudraient revenir sur leur décision. Elle peut à bon compte se décerner un brevet de démocratie, tout comme le président de la FNSEA, qui sait qu’il ne risque rien dans ce débat annoncé. Tout se passe comme si les dirigeants ne cherchaient qu’un moyen de contourner un obstacle à leur pouvoir, en prétendant agir dans l’intérêt de la population. Ici, ce sont des légitimités contradictoires qui s’opposent, et qui ne sont pas sans rappeler les prémisses du mouvement des « gilets jaunes ». Les parlementaires sont supposés représenter le peuple, et le gouvernement reflète théoriquement les options sur lesquelles le président de la République s’est fait élire. Quand les choix populaires sont clairs et qu’ils permettent de dégager une majorité suffisamment homogène, le système fonctionne cahin-caha. Dans le cas contraire, le risque de gouverner à la place du peuple guette toute démocratie.